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    Colloque de WINTERTHUR

     

    "LA THÉRAPIE PAR LE JEU AVEC LA MARIONNETTE"

     

     

     

    Du 15 au 17 mars 2013, mandatée par « Marionnette et Thérapie », j'ai participé, à un colloque européen, à Winterthur, une petite ville en Suisse alémanique, sur " la thérapie par le jeu avec la marionnette ". Il y avait trois champs alternés, les conférences, les spectacles et les ateliers.

     

     

     

    Le fil de l'arbre

     

    Un fil interne accompagnait le colloque du début à la fin, celui de l'arbre. Une petite graine semée en terre et arrosée régulierement, nourrie d'amour et d'attention, fait grandir l'arbre de vie qu'on orne progressivement avec notre imaginaire. L'arbre, avec ses racines plantées dans la terre et ses branches dirigées vers le ciel, incarne, au même titre que l'homme, « l'être » des deux mondes et la création qui unit le haut et le bas. L'arbre de la vie et de la mort, l'arbre de la connaissance. Dans un conte populaire japonais représenté au spectacle final « la femme dans l'arbre ». Le vieil arbre est un véritable être habité par une nymphe. Planté au milieu de la scène, il symbolise l'âme de la vie :

     

    " Un beau jour, Hanako, fille de paysan, se repose comme d'habitude en bas de son viel arbre adoré lorsqu'elle entend une voix qui parle ainsi : « Hanako, c'est moi, la femme de l'arbre, son âme. Le moment de dire adieu est arrivé, demain les bûcherons vont venir pour m'abattre. Mon bois servira pour la construction d'un bateau qui amènera le jeune roi visiter des innombrables îles de son royaume. » Les choses se passent exactement comme l'arbre l'a prédit. Mais lorsque le moment vient de larguer les amarres, le bateau ne bouge pas. Personne ne réussit à le faire bouger, ni les domestiques, ni les gardes du corps de sa majesté et encore moins le plus grand penseur. Le jeune roi est triste à mourir ; à quoi sert un bateau qui n'arrive pas à naviguer, à traverser l'océan? Finalement, Hanako arrive au port et voit quel beau bateau a été construit avec le bois de son arbre. Elle est la seule qui réussit à faire bouger le bateau pour que le roi puisse visiter son royaume.

     

     

     

    Dans ce conte, il est question de la vie et de la mort, des perpétuels changements, des transformations...

     

    (Spectacle de 45 min. joué avec des marottes et des marionnettes à gaine. Mise en scène, personnages, décor, performance : Dorothee Schlumpf-Schürenberg).

     

    Dans ce voyage en Asie, Barbara Scheel, psychologue et art thérapeute, (www. Babuschka-theater.de) nous parle de l'arbre « éternel », le ginko biloba ou « l'arbre aux mille écus », nommé ainsi à cause de ses feuilles qui deviennent dorées en automne. Il peut vivre environ trois mille ans et donne des fruits à partir de trente ans et uniquement si l'arbre de sexe opposé se trouve à proximité. En automne quand le soleil disparaît, les feuilles du ginko brillent comme s'il avait emmagasiné toute la lumière du soleil. Cet arbre préhistorique existait déjà une quarantaine de millions d'années avant l'apparition des dinosaures. Il n'a pas de prédateurs naturels, ni de parasites ou de maladies. Sa résistance extrême lui a permis d'être l'une des rares espèces à ne pas avoir souffert de l'explosion de la bombe atomique à Hiroshima. De nos jours, les ginkgos bordent les artères des grandes villes car leur capacité à accumuler la pollution est remarquable. Contrairement aux autres arbres, ils peuvent survivre dans un environnement fortement pollué sans être malades.

     

     

     

    Des marionnettes comme alliées thérapeutiques

     

    Entre les différents exposés, j'ai choisi à vous présenter l'utilisation de la marionnette pour des enfants atteints d'une maladie potentiellement mortelle. La place de la marionnette à ce terrain précis est très adaptée à cause des liens qu'elle est capable d'entretenir avec la mort.

    Cela consiste en l'accompagnement des enfants gravement malades et de leurs familles ou des enfants avec des parents gravements malades. Nadja Meier Läubli, institutrice thérapeute pour la marionnette et conteuse ,collabore avec des soignantes formées, qui sont souvent présentes pendant les heures de thérapie avec le consentement des parents. Elle nous dit que quand la maladie est avancée, il est plus utile que les séances se passent à la maison. Ainsi les membres de la famille peuvent observer ou appliquer la thérapie : parler afin de clarifier sentiments et comportements ou élaborer ensemble des rituels précieux. Le chemin est donné mais le trajet peut s'enrichir avec la présence et l'offre de l'accompagnement de la thérapeute. La peur qui isole les individus peut se transformer en réflexions, sentiments et expériences partagées. Le diagnostic d'une maladie ou une mort inattendue crée un choc. Toutes les personnes impliquées sont « déséquilibrées », la peur de la mort est omniprésente, elle transforme toute la vie familiale. Nous rencontrons des sentiments très divers, comme le deuil, la rage, le désarroi, l'hyperactivisme, l'indignation, la paralysie. Pour la thérapeute, cela signifie faire des propositions, réfléchir à haute voix parce que les personnes touchées ne savent pas ce qu'elles veulent ou de quoi elles ont besoin. Pour l'enfant et la famille la thérapeute devient une alliée.



    Créer un nouveau départ

    Une première visite demande beaucoup de patience et de sensibilité. Les enfants ont souvent peur des nouveaux venus mais les petites marionnettes de poche réussissent à calmer les tensions. Les enfants curieux s'ouvrent au jeu. La thérapeute fait des suggestions, par exemple bricoler des rubans à voeux, écouter ou faire de la musique, modeler, peintre, raconter ou écouter des contes de fées. Les rituels sont des moments de vie partagée. Les actes "virtuels" ont un rôle important dans toutes les thérapies. Le jeu avec les marionnettes permet à l'enfant et à toute sa famille de s'imaginer le passage de la vie à la mort. Le pont entre la vie et l'autre pays qui se construit doit consoler non seulement l'enfant mais aussi toute la fratrie. De " l'autre côté" se trouvent les ancêtres. Cela pose des questions : « où je serai après la mort ? , comment je l'imagine ? " L'écrire ou dessiner... aident à préparer ensemble le « terrain » pour l'adieu après une maladie, c'est parfois plus facile pour l'âme et l'esprit. Il y a une sorte de voie naturelle entre la vie et la mort. Les personnes concernées ont toujours besoin de temps, d'espace, de patience pour accepter la mort d'une personne proche, pour le deuil et le vide... La thérapie leur donne la possibilité de créer un nouveau départ. Elle est une sorte de « testament », une façon de redonner de l'estime de soi à l'enfant et à toute la famille. Les histoires qui ont été jouées, racontées, les chansons, les désirs exprimés, écrits, dessinés... resteront dans les mémoires et aideront à surmonter la tristesse et la perte d'un être cher. Et les liens entre tous ont été renforcés. La thérapie est un processus qui peut vaincre l'isolement par la parole, les gestes, les actes réels touchant le coeur de façon symbolique par la métaphore.



    La thérapie par la marionnette vise différents objectifs : l'enfant exprime ses pensées, ses sentiments deviennent visibles à la famille qui peut mieux comprendre les transformations intérieures de l'enfant ; l'enfant malade participe activement, ce qui renforce son autodétermination en toute confiance dans un cadre sécurisant ; les actions des marionnettes servent de moyens de communication entre l'enfant, les parents et la fratrie, quand parler devient difficile ou presque impossible ; les processus de guérison ou de la maladie peuvent être abordées plus librement, le travail imaginatif des marionnettes est proche de l'enfant. Les marionnettes ouvrent le chemin pour chercher et trouver des idées afin de vivre des changements majeurs. En jouant avec les marionnettes, des animaux..., l'enfant peut exprimer et représenter sa situation de vie. Les événements se trouvant dans les histoires lui permettent de tirer des parallèles avec sa propre situation et les confronter entre elles. Enfin les rituels soutiennent l'enfant et la famille lors de la maladie ou des adieux.

    Deux cas cliniques

    Le premier nous parle d'une petite fille de deux ans qui avait une trachéotomie et devait s'habituer à se nourrir. Mais elle refusait. Pendant le jeu avec la marionnette, elle a commencé à manger et la visite de la thérapeute a eté un succès incroyable. La deuxième nous parle d'un garçon atteint d'une atrophie musculaire incurable. Un enfant qui ne peut plus bouger par lui-même a besoin d'impulsions corporelles pour son développement mental. La thérapeute fait jouer les marionnettes sur le corps de l'enfant pour entrer en contact. Les marionnettes peuvent jouer à écouter le cœur, à utiliser le corps comme toboggan ou à explorer le repas dans l'estomac. Les enfants se réjouissent et prêtent attention. Ces moments de jeux et d'histoires favorisent le bien-être corporel. C'est la thérapeute qui choisit les marionnettes et le conte adapté à la situation vécue de l'enfant...



    Conte de l'enfant étoile

    « Le petit enfant étoile regarde la terre depuis le ciel. Il aimerait tant y aller. Sur la terre se trouve un couple qui désire tellement avoir un enfant. L'enfant étoile se glisse sur un rayon de soleil pour rejoindre ses parents. Ensemble ils vivent de nombreuses belles aventures. Mais un jour, Papa et Maman se rendent compte que leur enfant est malade. L'enfant s'endort dans les bras des parents puis, accompagné par un ange gardien, retourne sur un rayon d'étoile vers sa famille céleste. L'enfant étoile regarde la terre et envoie des plumes... 

    Après la mort de l'enfant, à la demande des parents, la fin de l'histoire est jouée à son enterrement. « Qui d'autre que les marionnettes pouvaient raconter cet événement si difficile à appréhender? »

    L'accompagnement d'un enfant vers la mort est un travail délicat et exigeant. Les marionnettes permettent d'échanger avec grande simplicité sur la gravité de la maladie. Elles peuvent être une aide pour les autres enfants de la famille qui souffrent aussi d'angoisses. Il est important que les frères et sœurs trouvent leur place, puissent parler, exprimer et communiquer leurs sentiments. La thérapie par la marionnette enrichit et aide toute la famille grâce à sa poésie, sa façon de dédramatiser et d'allèger des situations difficiles.

    En conclusion, la thérapie par la marionnette peut complètement trouver sa place dans l'accompagnement d'enfants malades. Avec ce vœu et l'espoir dans nos coeurs de ce constat, nous sommes partis du colloque en emmenant avec nous un petit pot en verre qui contenait un arbuste, un arbre qui, de son essence, nourrit l' âme en désir d'Amour.



    Je remercie les organisatrices de ce colloque qui m'ont chaleureusement reçue et particulierement Brigit Oplatka de son aide précieuse pour cet article. Egalement tous les intervenants pour le partage de leurs riches expériences. Particulièrement, pour ce moment partagé, riche en émotions, les exposés de Nadja Meier Läubli et Joseline Pampaluchi, qui m'ont permis de reconstituer cet article.



    Papageorgiou Eleni



    1 Henri Lichtenberger (trad.), Claude David (préface et notes), Le Divan, Gallimard, Paris, coll. « Poésie », 1984. Le Divan occidental-oriental (titre complet) est le dernier recueil poétique majeur qu'ait composé Johann Wolfgang von Goethe. Il est inspiré de la poésie persane

     



     

    Ginkgo Biloba, 1815

    "La feuille de cet arbre, qui, de l’Orient,
    Est confiée à mon jardin,
    Offre un sens caché
    Qui charme l’initié. Est-ce un être vivant,
    Qui s’est scindé en lui-même,
    Sont-ils deux qui se choisissent,
    Si bien qu’on les prend pour un seul

    Pour répondre à ces questions,
    Je crois avoir la vraie manière :
    Ne sens-tu pas, à mes chants,
    Que je suis à la fois un et double ?





    Poème de Johann Wolfgang von Goethe (1749-1832)

     



     


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